top of page

Pourquoi une partie de la gauche a-t-elle des difficultés à condamner l’attaque du Hamas ?

  • Renouvier
  • 7 nov. 2023
  • 3 min de lecture

La torture et le meurtre d’hommes, femmes et enfants, à plus forte raison justifiés par le seul fait qu’ils sont juifs, sont des actes que tout être humain doué de compassion condamnera. Pourtant, une partie de la gauche en France n’a pas paru complètement à l’aise à l’heure de condamner ces actes. Cet inconfort est allé du silence d’élites culturelles habituellement mobilisées pour les causes justes à un quasi-soutien au Hamas par une partie de la France insoumise, en passant par une certaine gêne de la direction du Parti socialiste que la riposte israélienne a conforté dans ses positions habituelles de condamnation de toute force, sans distinction d’intention ou d’objectif.

L’événement contemporain du rapprochement d’une partie de l’extrême gauche avec l’islamisme est une explication, mais pas le seul. Cette dissonance entre les actes commis et la réaction de la gauche trouve racine dans des traits propres aux forces politiques de gauche, ancrés dans le temps long.

En premier lieu, la gauche trouve sa raison d’être dans la défense du faible face au fort, traduite, en analyse sociologique, par l’opposition entre dominants et dominés. Cette grille de lecture du monde est mobilisatrice par son fondement moral et par les affects dégagés par la haine de l’injustice. Mais le fait de donner le sens d’un événement sur la base de cette seule grille de lecture gomme la complexité du monde et évince toute autre considération politique ou morale, y compris les plus légitimes. Soutenir de manière inconditionnelle le faible, même s’il est porteur de valeurs en tout point opposées à celles que nous portons, conduit les tenants de cette ligne à jouer le rôle d’idiot utile de l’islamisme. A cet égard, le soutien apporté au Hamas, qui promet la mort aux homosexuels, par certaines organisations LGBT pourrait faire rire s’il n’était pas tragique.

En deuxième lieu, l’attention extrême apportée par la gauche aux valeurs et aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité est ce qui fait son honneur et son utilité pour le pays. Face à des forces politiques qui prônent la conservation de l’ordre social tel qu’il est, voire sa transformation au bénéfice des plus forts, des plus riches ou des plus purs ethniquement, la gauche porte un message fondé sur des valeurs qu’elle porte en étendard et qui définissent une vision du monde. La difficulté vient quand le réel entre en contradiction avec notre vision du monde. Il arrive que, dans la vraie vie, il soit nécessaire de soutenir un pays dont on n’approuve pas, par ailleurs, la politique menée ; ou, dans un autre ordre d’idées, d’aider des chefs d’entreprise dont on conteste l’utilité sociale ; ou, encore, de prendre des mesures pour interdire l’accès du territoire à des migrants quand la société estime que leur présence n’est pas souhaitée. Dans tous ces choix, un compromis avec nos valeurs est nécessaire pour empêcher un péril plus grand que le simple inconfort de n’avoir pas pleinement respecté nos principes. « Le réel, c’est quand on se cogne » disait Lacan. Cette confrontation au réel est l’essence même du gouvernement des hommes. Une gauche de Gouvernement doit accepter, peut-être même rechercher, cette confrontation car elle seule permet de dire dans quelle mesure nos principes pourront modeler la société.

Enfin, la gauche est prisonnière de son histoire et tente de la rejouer à chaque occasion – rejouer la lutte contre le nazisme, la lutte contre la colonisation ou la lutte contre l’apartheid. Ce désir d’être à la hauteur des glorieux anciens est mobilisateur mais il emporte des effets catastrophiques sur la lucidité qui doit présider à l’analyse d’une situation donnée. Pour se réaliser, ce désir suppose que la situation que l’on vit est effectivement la même que celle traversée par ceux qui nous ont précédé. Or, ce n’est jamais le cas. Si les valeurs restent les mêmes, les lieux, les cultures, les circonstances diffèrent nécessairement d’une époque à l’autre et aucune situation passée de ne peut se calquer sur une situation présente. Comparaison n’est jamais raison : la référence systématique au passé interdit de voir le réel tel qu’il est et, paradoxe ultime, asservit le jugement à celui des grands ancêtres, alors même que c’est l’objectif de la gauche d’émanciper de la tradition.

La défense du faible, la promotion des valeurs, l’enracinement dans une histoire : tout cela fait la valeur de la gauche mais, sans la confrontation au réel, sans l’analyse lucide des problèmes, sans l’inconfort du compromis quand un péril plus grand s’impose à nos valeurs, tout cela peut aussi conduire au désastre – au mieux à l’inaction du commentaire permanent loin de l’exercice du pouvoir, au pire au soutien à nos pires ennemis.

Nous voulons une gauche qui soit capable de voir le monde tel qu’il est, de l’affronter et de gouverner. Sans cela, aucun changement durable ne sera possible.


Posts récents

Voir tout

Comments


Boulevard Renouvier est sur FaceBook et Mastodon

© 2023 par Boulevard Renouvier. Créé avec Wix.com

bottom of page