La gauche est malade de son histoire

Et revoilà le front populaire ! A défaut de savoir pour quelles valeurs se battre, le plaisir de se prendre pour les géants qui nous ont précédé – de Léon Blum à Jean Zay, en passant par Roger Salengro – a illuminé la journée des chefs de partis de gauche.

Cette référence au front populaire est mobilisée à des fins électoralistes par ces partis. Elle ne correspond en fait à rien de tangible.

La situation de la gauche n’a rien à avoir avec l’entre-deux-guerres.

A cette période, le cœur de la gauche réside dans l’alliance entre les socialistes et les radicaux, comme en 1924 avec le Cartel des gauches ou en 1936 avec le Front populaire. L’objectif de ces alliances est d’étendre les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité à de nouveaux champs, notamment le champ économique et social. Les communistes intègrent l’alliance après le 6 février 1934 sur ordre de Moscou, par décision purement opportuniste liée aux relations de l’URSS avec l’Allemagne nazie. A aucun moment, le Front populaire n’a pour objectif de mettre en place une société communiste : ce n’est pas l’extrême gauche qui est à la manœuvre, mais le cœur historique de la gauche républicaine et socialiste.

Aujourd’hui, le cœur de ce qui se présente comme la gauche n’est plus une alliance en faveur des principes issus de la Grande Révolution. La force motrice de l’attelage, LFI, est une mouvance issue du trotskisme, qui considère avec suspicion les institutions républicaines pour leur prétendu soutien aux classes aisées et qui appréhende le gouvernement des Hommes par le seul et unique biais de la résistance du faible face au fort – ce biais s’imposant de manière univoque à toute circonstance et ne permettant aucun compromis avec d’autres valeurs.

La situation de l’extrême-droite n’a pas non plus grand-chose à voir avec les années 1930.

Dans les années 1930, le nationalisme décliné en fascisme ou en nazisme est une idéologie construite et globale, appuyée sur des groupes violents à l’intérieur (la Cagoule, dans une certaine mesure les Croix de Feu) et des États agressifs aux frontières, et dont l’objectif explicite est de remplacer le régime républicain et les principes qui le fondent.

La situation actuelle doit être vue avec beaucoup plus de nuances. Comme le montrent les exemples de la Hongrie et de la Pologne, maintenant de l’Italie, l’objectif de ce courant politique ne passe pas par une attaque frontale sur les institutions existantes. Il est de conserver le pouvoir ad vitam æternam par la suppression progressive des contre-pouvoirs (médias et justice), par la tenue d’une base électorale particulièrement choyée par le budget de l’Etat et par une propagande conservatrice sur les questions de mœurs pour pérenniser leurs idées dans le temps.

Cette stratégie de la dissimulation, dont la conséquence est de vider de substance le régime républicain, doit être affrontée par le démontage pied à pied des propositions ou des actions entreprises par ces groupes politiques, en mettant systématiquement sur la place publique les intentions et les effets de ces propositions. Une attaque frontale au titre d’un prétendu anti-fascisme ne marche pas au-delà des aficionados des partis de gauche. Pour les autres, elle est non seulement inutile mais aussi contre-productive: elle braque certains citoyens qui, en toute bonne foi, ne voient pas, dans cette dissimulation, de risque pour la démocratie et n’acceptent pas d’être traités en parias par les détenteurs du bon goût politique.

Singer les grands anciens est ridicule et le ridicule n’a jamais permis de gagner une élection. Il est temps de sortir de la farce, de revenir aux valeurs de la Grande Révolution et d’affronter le réel tel qu’il est. C'est la seule manière de se réclamer de l'ascendance des grands socialistes et républicains.